L’école n’était plus une option, elle était devenue une obligation. Quel déchirement ! J’avais mal, très mal et mes parents, autant. Ils n’étaient pas partis que j’avais déjà hâte qu’ils reviennent. Je n’étais pas la seule enfant à vivre ce déchirement. Tous devaient vivre cette douloureuse et interminable séparation.
Read Gabrielle Paul's Le changementDans ce texte, j’essaie de comprendre comment nous avons pu changer si rapidement de mode de vie. Pendant des millénaires, nous avons parcouru des territoires différents afin de subvenir à nos besoins. Aujourd’hui, en étant sédentaire, une grande partie de notre culture a pratiquement disparu. Plusieurs tentent de conserver cet élément important, alors que d’autres n’en n’ont pas les moyens. Je fais partie de ceux qui vont rarement en territoire, à mon plus grand désarroi. Je fais le plus d’efforts possibles pour apprendre tout ce que je peux avant que notre culture distincte s’éteigne à tout jamais. En écrivant ce texte, j’essaie de comprendre le mode de vie de mes ancêtres, ainsi je me sens plus près d’eux. Me mettre dans la peau de quelqu’un de cette époque m’aide, pendant un court instant, à pouvoir vivre un moment sur nos terres ancestrales. En plus de l’importance de la culture, ce concours m’offre une merveilleuse opportunité d’écrire. Depuis toute petite, j’écris. J’ai écrit plusieurs histoires, allant des plus fantastiques aux plus réalistes. Pour moi, l’écriture permet de faire vivre de nombreuses émotions, parfois même de véritables aventures. Pour écrire ce texte, j’ai dû apprendre de nouvelles choses sur ma culture. Y a-t-il meilleur moyen de vous les transmettre que par le plus bel art qui soit?
Nous avions toujours marché ! Comme il était normal pour certains de rouler pour voyager, pour nous c’était de marcher, marcher pour se déplacer ! Année après année, nous nous rendions aux mêmes endroits, en suivant l’animal.
Cet automne-là, comme les précédents et ceux qui allaient suivre, je marchai vers le territoire de chasse avec ma mère, mon père et mon petit frère. Les bagages commencaient à se faire lourds et la faim s’emparait de plus en plus de nous . Il fallait s’offrir une petite pause pour se nourrir. Par-ci, par-là, nous pouvions cueillir les petits fruits qui avaient survécus aux cueillettes. Quelques bleuets, un peu trop mûrs, mais ça pouvait faire l’affaire. Il était temps de recommencer à marcher. Je reconnus cet endroit, ce lac ; je savais que nous étions bientôt arrivés à destination. Mais, cette fois, quelque chose d’anormal.
Sans parler, mon père, par un simple geste, me fit remarquer le ravage. À partir de ce jour, notre forêt n’allait plus jamais être la même. On parvint à la clairière. Ils étaient là, à cet endroit,installés pour y rester. Mes parents les avaient toujours un peu redoutés, toutefois, comme ils étaient très sages, ils décidèrent de revenir au lac, afin de penser à ce qu’ils allaient faire. Mon père affirma qu’il était maintenant impossible de chasser et qu’il fallait faire demi-tour à la recherche d’un nouvel endroit. Chasser ailleurs me semblait illusoire. Tous nos ancêtres avaient toujours chassé là, à cet endroit. J’étais furieuse contre ces gens! Mais une pensée me revint à l’esprit, celle que numushum (mon grand-père) me disait quand j’étais enfant: « Petite, la Terre n’appartient à personne, nous la partageons avec tous les êtres vivants. »
Ces sages paroles me calmèrent. Nous devions donc nous remettre à marcher. Marcher encore et encore, comme nous l’avions toujours fait.
Au moment même où la nuit commencait à tomber, la fatigue s’empara de moi. Je ne prêtais plus attention à l’endroit où j’étais, je ne pensais qu’à mon dos douloureux et souffreteux. Mon regard se porta sur mon petit frère qui avançait en sautillant et en regardant les étoiles au ciel, il était si jeune, incapable de comprendre ce qui nous arrivait. La situation ne pouvait l’affecter, lui qui ne pensait encore qu’à jouer. Je l’enviais, j’aurais aimé être à la place de ce petit enfant insouciant. Je ne voulais pas me plaindre mais je pensais mourir tellement mon dos me faisait mal. Quand allaient-ils s’arrêter ? On aurait dit qu’ils ne savaient plus où aller, ils semblaient désorientés et je croyais que jamais, ils ne s’arrêteraient. Un cri et des pleures, pauvre petit !! Ses minuscules jambes ne pouvaient pas en supporter davantage, mon petit frère était tombé et s’était blessé. Sans d’autres choix, mes parents devaient s’arrêter et le soigner. Mon père, qui avait subitement retrouvé ses esprits, nous dit qu’il n’était pas prudent de continuer notre route. Il faisait nuit et nous étions tous au bout de nos forces.
Malgré la douleur, je devais faire preuve de maturité et aider comme on me l’avait enseigné. C’est ce que je fis en aidant mes parents à installer la tente pour la nuit. Je ne cessais de me questionner ! Comment allions-nous survivre ? Pourquoi nous avaient-ils fait cela ? J’avais pitié de mes pauvres parents ! Ils ne pouvaient plus dormir, j’en étais certaine, car des parents se préoccupent toujours de ce qu’ils pourront mettre sous la dent de leurs enfants. Se demandaient-ils aussi, si, comme d’autres familles avaient commencé à le faire, il ne serait pas mieux pour nous de rester au village et d’aller à l’école. J’avais peur ! Non! Ça, il ne fallait pas, notre vie à nous était en territoire, c’est là que nous apprenions tout, c’était elle notre école, la meilleure ! Je réussis à m’endormir en m’efforçant de ne plus penser à ces bêtises. À l’aube, mes parents étaient debouts, prêts à reprendre la route. Mon père et moi, nous transportions les bagages et ma mère devait transporter mon petit frère qui avait trop mal.
Après quelque temps de marche, des ilnuatsh que mes parents connaissaient bien, nous avaient aperçus au loin et vinrent à notre rencontre. Généreusement , ils nous offrirent de s’arrêter un moment , question de se reposer et de prendre le goûter avec eux. Mes parents leur racontèrent ce qui était arrivé à notre territoire. Pour le peu de temps qui restait à l’automne, ce bon ami nous invita sur son territoire. J’étais heureuse, je pouvais revivre ma vie d’avant, je respirais profondément l’air pur de la forêt, j’écoutais la nature me parler, me dire tout ce qu’elle pouvait m’offrir. C’était magnifique, j’appréciais tout ce qui m’entourait comme jamais je ne l’avais fait auparavant, comme si c’était la dernière fois. Toute l’année durant, je ne cessais de remercier notre mère la Terre, pour tout ce qu’elle nous apportait et lui promis que je ferais tout pour la protéger et la raviver.
Mais, comme à chaque fin de saison de chasse et de trappe, il nous fallait revenir au village pour la saison chaude. Nos parents en profitaient pour échanger les fruits de leur travail contre des vivres qui nous permettraient de repartir avec le nécessaire à notre subsistance pour l’année suivante. Mes parents, cet été-là, avaient, à peine, quelques peaux d’animaux et quelques fourrures à troquer. La prochaine saison allait sûrement être meilleure ! C’est, du moins, ce que je souhaitais. Pendant ces quelques mois d’été, c’était la fête au village, le grand rassemblement ! C’était toujours un grand plaisir de se retrouver tous et de se raconter notre année. Nous profitions de tout ce qui était à notre disposition pour s’amuser, rigoler et échanger. Ces moments étaient vraiment agréables mais ne duraient qu’un temps ! Nous étions aussi très heureux lorsqu’était venu le temps de se quitter pour le retour à notre territoire de chasse.
Jusqu’à ce jour, je n’étais jamais restée au village, regardant partir mes parents et mon jeune frère, mais là, ça y était, il le fallait. L’école n’était plus une option, elle était devenue une obligation. Quel déchirement ! J’avais mal, très mal et mes parents, autant. Ils n’étaient pas partis que j’avais déjà hâte qu’ils reviennent. Je n’étais pas la seule enfant à vivre ce déchirement. Tous devaient vivre cette douloureuse et interminable séparation.
C’est ainsi que, de plus en plus de parents, devenus incapables de se séparer, pour si longtemps, de leurs petits qui devaient rester à l’école pour apprendre à lire et à compter, restaient au village. À notre territoire ancestral, nous n’ y allions qu’à l’occasion. Je ne savais plus qui j’étais ! Pourquoi mes parents ne m’avaient-ils pas enlever et amener avec eux pour ne plus jamais revenir ?
Tout simplement parce qu’ils n’avaient pas le choix. Ils voulaient le meilleur pour moi, pour nous et le meilleur c’était d’étudier et cela, peu importe le prix à payer.
La population s’accumula, d’année en année, dans cet endroit. De plus en plus de petits autochtones sortirent de leur territoire et passèrent, tout comme moi, de petits nomades heureux qu’ils étaient à sédentaires adoptant un mode de vie emprunté à une culture totalement extérieure à la leur.