Je t’écris cette lettre, car nos mots ne se comprennent pas. Seul le silence de nos regards arrive à conjuguer l’amour que l’on se porte. Même si j’ai du mal à verbaliser ce que je ressent de ta présence, de tes sourires, de tes rires aux éclats qui font de mes yeux des capteurs de merveilles, j’arrive à nous imaginer se promenant, main dans la main, au bord d’une rivière de souvenirs, à écouter le bruit que fait le paysage à notre arrivée, comme pour nous accueillir.
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Trois-Rivières, QC
Atikamekw de Wemotaci
Age 27
Les arts font partie de ma vie. De toutes les formes possibles, j’apprécie la chance que j’ai de pouvoir exprimer ce que je ressens, d’en partager quelques fragments, et de laisser une trace derrière moi. C’est un cadeau précieux qu’est celui de pouvoir donner vie à ce que l’on créer à travers les yeux de ceux qui regardent, et qui nous font don de leur temps, l’instant d’un moment.
Lors de la Semaine nationale de la francophonie, on m’a invité à rédiger un texte illustrant ma relation avec la langue française. Comme je suis métisse – une ‘’Atika-bécoise’’ comme j’aime le dire – c’était intéressant pour moi de faire l’exercice d’appropriation de cette deuxième identité culturelle, tout en la reliant à mes racines autochtones.
J’ai tôt fait de constater que mon identité est insécable à mes racines. En fait, mon identité québécoise ne peut que se nourrir de mon identité atikamekw, et vice-versa, ne formant ainsi qu’un seul et même tout, un noyau identitaire au cœur de mon existence.
J’ai réfléchi à ce que je pourrais écrire pour exprimer cette relation intérieure qui me définit et qui m’élève.
J’ai donc choisi d’écrire une lettre à ma grand-mère, Nikokom, à qui je ne peux pas parler. C’est ironique de lui écrire cette lettre, puisqu’elle ne pourra pas la lire. On ne pourra que la lui traduire – ‘’on’’ exclut la personne qui écrit en ce moment, malheureusement.
Même côte à côte, il arrive que les mots ne suffisent pas. Mais les mots suffisent certainement à se souvenir pour ne pas oublier, que l’amour n’est pas une langue, qu’elle n’est pas non plus un mot, ni même plusieurs, mais qu’elle a un cœur.
Chère grand-mère, Nikokom,
Je t’écris cette lettre, car nos mots ne se comprennent pas. Seul le silence de nos regards arrive à conjuguer l’amour que l’on se porte. Même si j’ai du mal à verbaliser ce que je ressent de ta présence, de tes sourires, de tes rires aux éclats qui font de mes yeux des capteurs de merveilles, j’arrive à nous imaginer se promenant, main dans la main, au bord d’une rivière de souvenirs, à écouter le bruit que fait le paysage à notre arrivée, comme pour nous accueillir.
Je t’écris cette lettre, parce que la vie me l’a appris. J’ai toujours aimé cette magie qu’a l’écriture d’exister du bout de nos doigts. Les lettres écrites à la main sont de loin mes préférées. Celles qui s’appuient sur ces feuilles ayant déjà respiré, ayant déjà connu les larmes du ciel et le réconfort du soleil. Ces lettres que l’on peut toucher et serrer contre soi comme un être aimé. Ces lettres qui abritent ces pensées précieuses que l’on veut voir survivre à nos dires. Ces lettres, que je ne pourrai jamais t’offrir puisque tu ne saurais les lire.
Mais je t’écris cette lettre, puisque c’est la seule arme que j’ai pour parler de ta maison, l’endroit qui te protège, ce lieu qui t’a permis de naître, de grandir, de donner naissance à ma mère, pour qu’ensuite ton existence se prolonge en moi. J’ai longtemps cru que
je n’étais que la moitié de ton reflet. Je n’ai pas ta peau, ni même ton écho, mais je porte ton sang, celui qui a voyagé jusqu’à mon cœur pour y faire pousser des racines.
Ces racines ont pris force, elles sont devenues des fleurs de lys faites de plumes et d’espoirs.
Je t’écris cette lettre parce qu’elle se compose de sentiments qui voyagent en minuscules et en voyelles, en traits d’union et en points d’exclamation. Elle se compose d’images que je ne peux définir autrement qu’à travers les maux qui me traversent. Mais je reste forte, comme tu l’as tant fait. Je poursuis ma route, j’avance vers l’intérieur. Je puise en moi ces phrases d’amour qui virevoltent comme ces avions en papier que j’aimerais souffler jusqu’à toi, pour qu’ils caressent ta vie et repoussent tes peines.
Je t’écris cette lettre, pour te dire de ne pas avoir peur. Ton nom résonnera toujours en moi, en nous, petites parcelles de toi. Nous illuminerons ton chemin, celui que tu devras suivre tôt ou tard, comme nous tous. Même si je sais que nous n’aurons jamais ce rendez-vous tant imaginé, ce rêve brisant les barrières du temps, celui me permettant de vivre auprès de toi quand tout était vert et grand, que la terre nous portait, et que le vent chantait sans frontière. C’est un espace imaginaire que je ne partagerai jamais qu’avec toi.
Je t’écris cette lettre, pour que tout le monde connaisse ma richesse. Celle de ma langue, mais aussi l’héritage que tu me laisses. Tu m’as transmis ce qui ne s’achète pas, ce qui ne s’invente pas, ce qui n’existe que quand on le voit. Ce n’est pas non plus quelque chose qui se compose ou qui se peint. C’est en soi, appartenant à bien plus grand que le temps, un trésor qui se défend. Personne ne peut reprendre les choix qui ont été faits. Le monde ne peut qu’en être témoin.
Je t’écris cette lettre, parce que ce sont les mots que je connais. Ils sont en français. Ce sont les mots qui m’ont élevés, éduqués, inspirés. Ces mots, je ne les ai pas choisis, ils étaient là avant moi. Parfois, les tiens me rendaient visite, mais toujours en étrangers. J’aimerais qu’un jour, ta langue et la mienne soient sœurs, qu’elles se défendent. Sache Nikokom, que mes mots t’aiment aussi fort que ce qu’ils sont capable de dire de plus beau, et qu’ils sont fiers de pouvoir parler de toi.
Je t’ai écrit cette lettre, et dans mes yeux, elle se traduira.